Outre la corrida, le territoire espagnol est constellé de traditions barbares dont sont victimes les animaux. Le sort des galgos et autres chiens de chasse, l’âne du festival de Peropalo, les Bous a Mar – « taureaux à la mer », où certains finissent noyés – et autres toros de fuego – parodies de corrida au cours desquelles les cornes des taureaux sont enduites d’une matière inflammable puis enflammées – sont là pour en témoigner. Mais l’Espagne est également le pays où la mobilisation contre ces actes de cruauté est la plus forte et la plus organisée. C’est ainsi que le clap de fin du « Toro de la Vega » signe une belle victoire espagnole.
Un déferlement de violence
Chaque année, le mardi qui suivait le 8 septembre, à Tordesillas (Castille-et-Léon), un taureau se voyait lâché dans les rues de la ville ; à sa suite une horde d’individus armés de flèches et de lances, à pieds comme à cheval, le poursuivaient jusque dans la plaine (Vega) dans laquelle, exsangue à force d’avoir été transpercé à l’arme blanche, il s’effondrait avant que lui soit planté un poignard dans la nuque. Celui qui avait l’honneur d’achever le ruminant se voyait déclaré vainqueur du « tournoi ».
Comme on peut s’en douter, cette pratique a légitimement soulevé l’indignation nationale, puis internationale.

Une contestation massive
A Tordesillas, chaque mardi suivant le 8 septembre, adeptes et opposants se faisaient face. Invariablement, les manifestants – pour certains venus d’outre Pyrénées car des Français figuraient parmi les contestataires – étaient également la cible des partisans de cette fête sanglante. En dépit d’un déploiement d’envergure de la Guardia civile, une militante a été blessée par un jet de pierre, des journalistes ont été frappés à coups de pieds et de poings alors qu’ils étaient à terre. Des personnalités espagnoles ont officiellement pris position pour dénoncer cette barbarie. L’odeur de souffre qui s’en dégageait était telle qu’en 2014, les organisateurs n’ont trouvé aucun de leurs compatriotes pour prononcer le discours d’ouverture du Toro de la Vega. C’est donc un Français qui a officié : André Viard, l’actuel président de l’UVTF (Union des Villes Taurines Françaises). Le vainqueur de cette édition 2014 – dont la postérité a oublié le nom – qui a achevé le malheureux taureau nommé « Elegido » aux termes d’une course dans la terreur et sous les coups de lances, a dû presque s’excuser dans les médias et assurer qu’il aimait les animaux. Comme chacun a pu le constater au cours de sa prestation.
Chronique d’une mort assurée
La nouvelle tombe en 2016 : le gouvernement de la communauté autonome de Castille-et-Léon annonce l’interdiction du Toro de la Vega. Il s’agit d’une victoire historique pour PACMA, le Parti animaliste espagnol, qui s’est largement impliqué contre ce festival.
En 2022, la municipalité de Tordesillas et le gouvernement de Castille-et-Léon soutiennent un nouveau règlement du tournoi, arguant qu’il n’est désormais plus question de « lances » mais « de lances ornées d’emblèmes » dont l’animal ne sera plus transpercé, mais qui seront « placées » sur celui-ci. A l’issue de cette bataille juridique, les juges ne se sont pas laissés abuser par ces circonvolutions sémantiques : ils ont acté que « transpercer de lances » ou « poser des emblèmes » étaient synonymes et que quelle que soit le nom dont on l’édulcore, quel que soit « l’euphémisme » dont on l’affuble, cet acte contrevient au règlement régional qui interdit de « blesser, perforer, frapper ou traiter le bétail de quelque manière que ce soit avec cruauté » (1).
En 2025, le Toro de la Vega n’est définitivement plus. Et c’est tant mieux.