Parlement européen de Strasbourg

La voix des taureaux suppliciés dans les arènes a retenti au Parlement européen de Strasbourg à l’occasion d’une conférence de presse organisée par l’eurodéputé Younous Omarjee, en lien avec la Fondation Brigitte Bardot. Monsieur Omarjee a donc introduit le propos en affirmant son soutien plein et entier au projet de proposition de loi abolitionniste porté par Aymeric Caron, invité à s’exprimer lors de cette rencontre. Outre le Député français, l’eurodéputé espagnol Jordi Solé ainsi que son homologue portugais Francisco Guerreiro ont également pris la parole, notamment pour expliciter la situation dans leurs pays respectifs. Younous Omarjee a insisté sur la « résonnance dans tous les pays européens » de cette initiative française en rappelant le travail du Parlement européen afin de mettre un terme au financement des élevages de taureaux dit « de combat » par le biais de la politique agricole commune. Au-delà de cet aspect, les intervenants ont pointé le profond humanisme intrinsèquement lié à l’abolition de la corrida.

« Un petit pas pour l’animal, un grand pas pour l’humanité »

C’est ainsi qu’Aymeric Caron présente son texte qui sera débattu à l’Assemblée nationale et le sens qu’il contient a été explicité et largement repris par tous les intervenants.

Certes, la corrida ne concerne « que » quelques centaines de taureaux en France, ce qui est peu au regard des carnages que représentent la vivisection ou encore la chasse, mais prendre un « plaisir morbide », payer pour voir un animal être torturé puis mis à mort dans le cadre de sévices codifiés, pour assister à « une mise à mort gratuite d’un être vivant » constitue une « honte à toute l’humanité » à précisé Younous Omarjee. Il importe désormais que l’Europe rattrape le retard pris sur des pays tels que l’Uruguay ou encore le Chili qui ont banni la corrida de leur sol. Donc, la corrida concerne peu d’individus si elle est mise en perspective des sujets tués dans les abattoirs. Toutefois, elle nous interroge sur le « genre d’humains que nous voulons être » ; en d’autres termes, s’il nous est concevable qu’à notre porte, se déroule « un loisir de torture puis de mise à mort d’un animal dans un rituel sacralisé », sacralisation qui vise à justifier un acte immoral a souligné Aymeric Caron.

La question des images a également été évoquée par ce dernier. Quelles sont celles qui sont diffusées sur la corrida. On montre communément une « torera sympa » ou encore le folklore des costumes qui viennent opportunément détourner l’attention et offrir une vision édulcorée pour occulter une réalité sordide de chairs lacérées, de mises à mort ratées d’un animal dont on devine qu’il voudrait bien que son supplice prenne fin. Ainsi, comment peut-on supporter le travestissement d’une pratique sur laquelle se pose la question même de la diffusion d’images qui mettent à jour sa réalité ? Le mouvement civilisationnel qu’entend l’abolition de la corrida ne peut donc s’arrêter.

Une société éclairée à l’épreuve de l’obscurantisme

« Le taureau ne souffre pas », « il est génétiquement programmé » pour détruire et l’arène est sa seule vocation sont autant d’arguments qualifiés d’obscurantistes par Aymeric Caron. Il suffit de visionner des images, d’entendre le récit du déroulement d’une corrida ou encore de se pencher sur les travaux des vétérinaires sur le sujet pour être convaincus que l’animal est en souffrance, en détresse et n’aspire qu’à sortir du cercle infernal dans lequel il se trouve.

Le Député français rappelle ensuite que l’économie de la corrida est une chimère : seuls à peine 5% des personnes qui participent à une féria se rendent aux arènes.

L’argument de la tradition ne tient pas davantage debout. En effet, « depuis quand la tradition justifie une pratique ? » Et Aymeric Caron de poursuivre en illustrant son propos de l’exemple des chats qui par le passé étaient brûlés vifs sur des bûchers à l’occasion des nuits de la Saint-Jean. L’homme a évolué sur cette tradition. Il s’est aperçu que le petit félin était capable de souffrir, d’éprouver des sentiments et il fait désormais partie de nombreuses familles. Il en est de même pour le taureau en ce qui concerne ses capacités à ressentir, éprouver et être capable de sentiments. L’éthologie et les neuro-sciences sont passées par là.

« Abolir la corrida est une question de démocratie » affirme avec justesse Aymeric Caron. Il rappelle qu’il s’agit « d’une exception à la loi commune » dont la suppression sera l’objet d’une « réparation d’une aberration démocratique ». Pour rappel, en France, les sévices et actes de cruauté sur les animaux sont punis par le code pénal. Une exemption de poursuite est accordée dans certains départements concernant la corrida. Un sondage de février 2022 indique que 87% des Français veulent voir la corrida abolie ; ils sont 65% dans les départements où elle sévit.

L’exemple de la Catalogne

Le Député européen espagnol Jordi Solé rappelle que depuis 11 ans, la corrida n’a plus lieu en Catalogne, sans aucun souci. Votée initialement au niveau local catalan, l’abolition a été frappée d’inconstitutionnalité en Espagne au niveau national. Il est donc entendu que les corridas pourraient à nouveau avoir lieu en Catalogne. L’obstacle à leur réintroduction est… sociétal ! En effet, il n’y a aucune demande en ce sens et la société catalane ne pourrait supporter que des animaux soient de nouveau martyrisés gratuitement et publiquement en toute impunité sur son sol. Il souligne ainsi que l’argument identitaire parfois avancé pour expliquer l’abolition en Catalogne est fallacieux. Jodi Solé suit de près les débats qui s’amorcent en France.

Bien qu’aux termes de cette conférence de presse, aucun journaliste n’a souhaité demander davantage d’éclaircissements ou bien interroger sur un point précis – la question est donc consensuelle, souligne Aymeric Caron – des intervenants ont souhaité prendre la parole. C’est notamment le cas de Pascal Durand, eurodéputé français du groupe Renaissance qui souligne que ce combat est partagé et défendu au niveau européen « avec le cœur et le cerveau » et espère que le Parlement français se montrera à la hauteur au moment du vote. Caroline Roose, Députée européenne belge, apporte également son soutien à l’abolition de la corrida et indique que le groupe écologiste du Sénat français portera le texte devant cette assemblée. L’eurodéputée luxembourgeoise Tilly Metz a enfin tenu a également apporter son soutien et a exprimé sa satisfaction de voir ce texte porté devant le législateur français. C’est avec émotion qu’elle relate ses vacances dans le sud de la France et son dégoût et sa sa tristesse de constater qu’une telle pratique pouvait avoir cours.

Younous Omarjee a conclu cette conférence de presse en rappelant la conférence de Valladolid en 1527 au cours de laquelle la question de savoir si les Indiens possédaient une âme ou pas a été débattue. La question du maintien de la corrida au XXIème siècle est du même ordre. Il conclut sur l’idée que l’intérêt général concerne le vivant et l’interdépendance que nous entretenons avec lui ; le combat abolitionniste contribue à une grande avancée au regard des droits des animaux et leur rapport avec l’humanité.

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